Ils n'y allaient pas avec une intention particulière (cela leur arrive, mais ce jour-là non). C'était juste pour le plaisir de laisser des "traces" et voir où les crayons allaient les emmener cette fois-ci.
M. dessine un soleil (c'est d'ailleurs la première fois qu'il fait un soleil jaune)
E. fait des traits.
Rapidement, chacun se met à raconter ce qu'il fait. Il y a le soleil d'un côté, puis des "araignées sur un fil" de l'autre. Ils sont alors chacun dans leur univers propre et commentent plus pour eux-mêmes (comme lorsqu'ils jouent) plutôt que pour un auditoire. Je ne sais même pas s'ils ont seulement conscience de l'autre à ce moment-là tellement chacun est absorbé par ce qu'il fait.
En bougeant son crayon, E. explique que l'araignée bouge ses pattes et elle imite le mouvement avec sa main libre :-)
M. explique qu'"on voit bien le soleil car il fait jour" et en même temps il ajoute le bleu du ciel.
Puis il dit que la "nuit va tomber" et prend son crayon noir.
De paroles en gestes, le dessin prend forme. Cette fois l'intention est là, le plaisir palpable.
![]() |
(oui, la lave peut être bleue) |
Puis viennent les bruitages d'explosions à chaque trait qui va de plus en plus haut. En même temps le noir recouvre tout ce soleil et tout ce bleu que M. avait pris soin de dessiner et colorier.
Les enfants mélangent alors leur univers, rient ensemble, imaginent ensemble, créent ensemble. Et moi j'assiste silencieuse à ce moment magique de création, je me fais toute petite et je profite (je vole quelques photos au passage aussi...)
Voilà qui illustre parfaitement comment l'enfant, à la base, est intéressé par le processus de création en lui-même. Il ne cherche pas à obtenir un résultat, un produit fini. Il vit à fond et profite de chaque instant de création et se fiche de savoir à quoi ressemblera le "produit définitif". Il ne se projette pas, il est ici et maintenant. D'ailleurs il ne recherche pas non plus de résultat final "esthétique" particulier. M. n'a pas hésité à complètement "gribouiller" de noir son dessin pour vivre à fond son expérience de reproduction de la nuit qui tombe avec le ciel qui s'assombrit jusqu'à devenir complètement noir et le soleil qui disparaît du ciel, littéralement voilé par l'obscurité.
Voilà ce qui a marqué la "fin" de son dessin. La nuit est tombée. Ce n'est certainement pas parce qu'il a jugé avoir devant lui un produit suffisamment "esthétique" pour être montré et apprécié des autres. Non, la séance s'est arrêtée parce que l'expérience qu'il vivait avec tous ses sens a naturellement pris fin. Le processus était terminé.
Une fois fini, les enfants ont d'ailleurs laissé leur dessin en plan, dans l'état, et n'en ont plus parlé. Comme s'ils l'avaient complètement oublié, ils sont passés à une autre occupation qui les a tout autant absorbés et passionnés.
Ils avaient vécu ce moment de création libre à 200% et étaient déja en train de vivre une autre aventure. A quoi bon s'attarder dessus?
![]() |
la nuit a bel et bien remplacé le jour et l'éruption est terminée. |
Ils n'ont pas eu envie de "signer" leur dessin, de le dater, l'afficher, l'offrir ou je ne sais quel autre sort l'adulte pourrait penser lui réserver...
Non, rien de tout ça.
Tout comme ils n'avaient rien prévu en s'installant pour dessiner, ils n'ont rien prévu pour leur dessin une fois terminé.
Ils vivent l'instant présent, totalement. Et ça, c'est vraiment une leçon de vie que les enfants nous donnent chaque jour.
En attendant, moi, j'hésite quand même à le jeter ! ;-)