mardi 12 février 2019

6 heures par jour ? Les sages paroles de John Holt.

J'adore John Holt, ce visionnaire à la parole toujours pleine de sagesse.
Je relisais dernièrement des extraits de "Growing without schooling" et je me suis dit que cet extrait répondrait parfaitement aux questions les plus fréquentes sur les débuts en IEF (notamment sur l'organisation au quotidien et le "comment faire") et pourrait donc détendre bon nombre de parents se lançant dans la belle aventure qu'est l'IEF. 


A l'époque où il tenait une revue sur l'IEF, John Holt répondait fréquemment aux questions des parents. L'un d'eux se demandait par exemple comment caser 6h de cours à son enfant sur une journée ... 

John Holt : "Lorsqu'ils envisagent de sortir leurs enfants de l'école pour la première fois, les gens me demandent souvent : "Comment vais-je lui faire 6 heures de cours dans la journée ?"
Je réponds alors : "Mais qui vous parle d'enseigner 6 heures par jour ?" Enfant, j'ai fréquenté les "meilleures" écoles, certaines publiques, la majorité privées. J'étais bon élève, le genre d'élève à qui les professeurs aimaient parler. Et c'était pourtant chose rare si dans la journée je recevais 15 minutes d'enseignement, c'est à dire, de discussion intéressée et réfléchie / attentionnée avec un adulte sur un sujet que je trouvais intéressant, étonnant ou important.Sur toute ma scolarité, la moyenne serait probablement plus proche de 15 minutes par semaine. Pour la plupart des enfants dans la plupart des écoles, ce sera beaucoup moins que ça. Beaucoup d'enfants ne reçoivent aucun enseignement du tout de toute leur scolarité. Quand les professeurs s'adressent à eux, c'est seulement pour ordonner, corriger, avertir, menacer ou blâmer. Bref, vos enfants n'ont pas besoin, ne veulent pas, et ne supporteraient pas 6 heures de votre enseignement chaque jour, même si vous vouliez en faire autant. Les aider à découvrir le monde ne recquiert pas autant d'apport de votre part. Ce dont ils ont surtout besoin, vous leur avez donné depuis leur naissance. Comme je l'ai déja dit, ils ont besoin d'avoir accès au monde. Ils ont parfois juste besoin d'une occasion de discuter de façon honnête, sérieuse et tranquille. A d'autres moments, ils ont besoin de plaisanter, jouer, de "faire les fous", ou encore parfois de moments de tendresse, de sympathie ou de réconfort. La plupart du temps, ils ont simplement besoin de partager votre vie, ou au moins, de ne pas s'en sentir exclus : d'aller aux endroits où vous allez, de voir et de faire certaines des choses qui vous intéressent, de connaître vos amis, de découvrir ce que vous faisiez quand vous étiez petit et avant qu'ils ne soient nés. Ils ont besoin qu'on réponde à leurs questions, ou au moins qu'elles soient entendues et accompagnées (si vous n'avez pas la réponse, dites simplement "je ne sais pas"). Ils ont besoin de connaître davantage d'adultes dont l'activité principale dans la vie n'est pas de s'occuper d'enfants. Ils ont également besoin de quelques amis de leur âge, mais pas des dizaines : deux ou trois  (5/6 au plus) suffisent. C'est le maximum de "vrais amis" qu'un enfant peut avoir en même temps. Mais surtout, avant toute chose, ils ont besoin de beaucoup de moments rien qu'à eux; des moments de solitude, de calme ... des moments où il n'y a rien à faire. Les écoles ne fournissent rien de tout cela. Et peu importe comment et à quel point elles ont pu changer depuis, elles ne pourraient jamais fournir tout cela. Mais le parent moyen, la famille, le cercle d'amis, le voisinage et la communauté le peuvent et fournissent tout ceci, peut-être pas autant qu'auparavant ou autant qu'ils le pourraient, mais bien assez déjà. On n'a pas besoin d'un doctorat ou de toute autre sorte de diplôme pour aider son enfant à trouver son chemin dans le monde."(1)
John Holt,  "Growing without schooling"


J'ai adoré relire cet extrait, car même en étant parent d'enfants libres d'écoles depuis toujours, il peut m' arriver comme tout un chacun à la fin de la journée, d'avoir des doutes, de me demander si j'en ai "fait assez" (même si bien entendu, pour ma famille la notion de "faire assez" sera sensiblement différente de celle de beaucoup de familles !)
Et il y a quelques semaines, c'est mon mari qui m'a sortie de mes doutes du jour : "Non mais tu te rends compte ? Nos enfants sont ECOUTES, on répond à leurs questions ou on les aide à trouver des ressources et/ou personnes qui le feront, et ça presque 24h/24, combien d'enfants ont cette chance ?" Il disait exactement la même chose que John Holt (sans le savoir)... Mais c'est vrai que même en le sachant, on peut malgré tout douter parfois. 

En ce moment, mes enfants passent plusieurs heures à lire chaque jour : le matin, dans la journée, le soir ... Parfois ils n'ont donc aucunement besoin de nous mais ils savent que l'un de nous est présent, à l'écoute. Ils vont donc pouvoir nous poser des questions de vocabulaire, relever une particularité orthographique et nous allons en discuter ensemble. J'ai bien dit "discuter" !  ... pas faire une leçon ou en profiter pour essayer de forcer un apprentissage. Répondre (ou aider à réfléchir à une réponse) à la question, pas plus ni moins. 
D'autres fois, ces mêmes lectures vont les amener à observer des choses (récemment ils en sont venus à parler d'élections à partir de BD des Schtroumpfs dont ils ont emprunté presque tout le rayon à la médiathèque), à en créer des jeux pour comprendre le fonctionnement de la société (ce jour-là ils ont par exemple dessiné des affiches d'élection avec le portrait de leur candidat et le "votez pour moi"), tout ce que nous avons fait c'était répondre à leurs questions lors du repas du soir (beaucoup d'éclaircissements, explications et donc apprentissages ont lieu lors des repas chez nous).
Parfois, ils vont découvrir des choses lors de sorties, lors d'expériences, et nous apprendrons ensemble, car nous n'avons pas toujours la réponse à leurs questions. Et d'autres fois encore, ils apprendront sans nous, en lisant un livre seul ou lors d'activités / sorties où nous ne sommes pas présents. Alors c'est vrai, certains jours, nous pouvons être pris de doutes ... Si les enfants ont été particulièrement autonomes, ont joué loin de nous, n'ont pas eu de questions particulières ou que sais-je encore, on pourrait en venir à penser que nous ne faisons "pas assez" ... Mais déja, les apprentissages se construisent jour après jour, il n'est donc pas nécessaire de faire un "bilan" à la fin de chaque journée. Souvent c'est au bout de plusieurs semaines que l'on arrivera à synthétiser, à voir plus clair dans ce qui a motivé l'enfant à faire ce qu'il faisait. Il se peut fortement également qu'on ne sache pas vraiment ce que lui aura apporté telle ou telle activité, et ça n'est absolument pas grave. Il n'apprend pas pour nous, mais bien pour lui ... Mais dans tous les cas, si l'on maintient cette constante : "offrir l'accès au monde, être disponible et faire confiance à son enfant", on ne peut pas prendre de mauvais chemin pour nos enfants et nous-mêmes et ne pas "en faire assez".

Finalement, des décennies avant que les neurosciences ne nous le prouvent, John Holt avait déja observé et compris que la chose la plus importante pour qu'un enfant soit dans des conditions optimales d'apprentissage c'était l'attention, l'écoute, la présence, l'acceptation, l'amour inconditionnel en somme qui va de pair avec une confiance infinie en son enfant et ses capacités. Et c'est finalement ce que nous offrons à nos enfants au quotidien. Cela ne peut donc pas se mesurer en nombre d'heures ou de mots échangés (à la journée) ... C'est bien plus que cela et ça n'a tout simplement pas de prix.

(1) Extrait de "Growing without schooling", volume 1. p.  (Traduction personnelle)